jeudi 23 juillet 2009

176. Alpha Blondy: "Bory Samory".

Installée sur le littoral sénégalais, la grande préoccupation de la France dans les deux dernières décennies du XIX°siècle est de progresser vers l'est, en direction du Niger. De part et d'autre du fleuve, deux empires puissants prospèrent: sur la rive gauche, l'empire toucouleur d'Ahmadou Chékou hérité de son père El Hadj Omar; et sur la rive droite, l'empire mandingue de Samori Touré.
Dans un premier temps (au cours des années 1870), la France tente une pénétration pacifique vers l'intérieur. Gallieni négocie par exemple avec Ahmadou Chékou, mais bien vite, c'est par les armes qu'elle essaie de s'imposer. Entre 1880 et 1900, les Français gagnent du terrain grâce à leur supériorité en armement combinée à des manœuvres politiques.

Dans sa tentative de conquête du Soudan, la France trouve sur sur chemin un adversaire exceptionnel: Samori Touré. Durant près de 20 ans, il parvient à freiner la progression des troupes coloniales vers le Niger. D'origine malinké, Touré devient dans les années 1890 le symbole de la résistance à l'invasion européenne.


Domaine public. Wikimedia Commons.

Samori est un malinké qui s'établit sur le Haut-Niger. Depuis le début du XIX° siècle, ce territoire est partagé entre divers petits Etats, où transitent la kola, le sel, ainsi que des fusils. Cette zone est sous influence Dyula, communauté de marchands islamisés sur laquelle s'appuiera Samori, lui-même issu d'une famille de colporteurs plutôt liée aux animistes.
Or, Samori délaisse bientôt le commerce pour le métier des armes. Ses qualités lui permettent de s'imposer comme chef de guerre puis comme roi (ou faama) vers 1870. Peu à peu, il agrandit ses territoires grâce à une petite armée de métier qu'il dirige. Il absorbe cités et chefferies et accapare le nord du Fouta-Djalon, riche en gisement aurifères. Vers 1880, il gouverne sur tout le Haut Niger, dans la partie orientale de l'actuelle Guinée. C'est un vaste et riche territoire appelé Ouassoulou.

Pour asseoir son autorité, il se convertit à l'islam et se proclame «almamy», un titre qui lui confère une autorité à la fois spirituelle et militaire sur ses sujets. Il lance la bataille contre les animistes, relativement ménagés jusque là. Le régime prend alors une tournure plus autoritaire: réquisitions, portage et recrutement, justifiés par l'effort de guerre, finissent par exaspérer des populations victimes de la famine et des batailles. Samori n'hésite pas à écraser toute forme de rébellion (il fait exécuter son fils Dyaulé Karamogho, qu'il soupçonne de le trahir au profit des Français). Désormais, il doit compter avec les Français dont les ambitions impérialistes grandissent.

Pendant dix ans (1880-1890), Français et Britanniques entretiennent avec le faama des relations diplomatiques ambigües, ponctuées d'affrontements militaires sporadiques. Ces derniers tournent à l'avantage des Français qui bénéficient d'un meilleur armement. En juin 1885, Samory Touré perd ainsi 900 hommes tandis que les Français ne déplorent que quelques victimes.
La France, par l'intermédiaire du colonel Archinard, conclut en 1887 un accord. Samori renonce à la rive gauche du Niger. Ce n'est là qu'un sursis. Les Français n'ont aucun intérêt àménager un souverain africain puissant. Ils attendent le moment favorable pour intervenir militairement.



Le 29 septembre 1898, le chef soudanais Samory Touré est capturé par le capitaine Gouraud, en un lieu dit Nzo. C'est la fin d'une prodigieuse épopée.

Samory, quant à lui, doit affronter ses sujets animistes qui refusent qu'on leur impose l'islam. C'est la «guerre du refus».

Le rapport qu'Edouard Guillaumet adresse au ministre des colonies, en 1895, est révélateur des rapports ambigus entre l'almany et les Français:
"Depuis une quinzaine d'année nous nous trouvons en présence de l'Almany Malinké Samory Touré, nous l'avons tantôt comme allié, tantôt comme ennemi. A L'heure actuelle, nous sommes obligés de le considérer comme ennemi.[son commerce] a une grosse valeur qu'il ne faut pas perdre de vue, puisque le trafic de ce pays avec Sierra Leone en poudre d'or, ivoire, kolas, etc, peut se chiffrer à huit ou 10 millions par an, avec un chiffre à peu près égal d'importation.
Or ce commerce devrait être à nous, et ne peu nous revenir qu'après entente avec Samory, soit par guerre, et je ne discuterai pas un instant cette grosse question soit par un traité amiable [...] Les Anglais, en effet qui n'ont pas peu contribué à soutenir Samory, en faisant avec lui le commerce des armes et des munitions, et qui , depuis quelques années réalisaient dans ces colonies de gros bénéfices sur le dos de notre politique coloniale, se trouvent à l'heure actuelle aussi embarrassés que nous."



Or, en 1890, la France défait l'empire toucouleur et s'empare de Ségou: c'est la fin de la trêve pour Samori, dont Archinard attaque l'Empire en 1891.

Pendant 8 ans, les Français n'auront de cesse de vaincre Samori. Conscient de la puissance de l'artillerie européenne, il abandonne la statégie traditionnelle de l'attaque frontale et adopte une stratégie fondée sur la guérilla. Samori et ses troupes se retirent face à l'ennemi et utilise la tactique de la terre brûlée. Au fur et à mesure des affrontements, Samori déplace le centre de son pouvoir vers l'est, pour bâtir bientôt un second empire, centré sur le nord de l'actuelle Côte d'Ivoire (il établit sa nouvelle résidence à Dabakala.). Bref, il contrôle un territoire qui n'a plus rien à voir avec le premier premier Empire samorien! Marchant sur les traces de Samori, les Français ne trouvent que des villages désertés et des greniers vides: les populations ont été déplacées, les stocks de grain transportés ou détruits.

Cette tactique se révèle efficace car elle ralentit considérablement la progression des Français. Cependant, en 1898, Samori doit se retrancher dans la forêt. C'est désormais un homme traqué, pourchassé sans relâche par ses adversaires. En septembre 1898, son camp de Guélémou, tout près du Libéria, est investi par les troupes du capitaine Gouraud. Arrêté, l'almamy est exilé au Gabon, malgré la promesse de ses adversaires. Il meurt en 1899.

Une fois la conquête achevée et les territoires solidement contrôlés, le colonisateur s'emploie à transmettre sa vision de l'histoire des conquêtes coloniales. Dans les écoles africaines, l'histoire coloniale présente Samory sous les traits d'un chef sanguinaire. L'idéologie coloniale s'attelle ainsi à noircir les pages de l'histoire africaine en rendant détestables les héros de la résistance africaine qui se dressèrent face à la pénétration européenne.

L'historien Yves Person (voir sources) a consacré sa thèse à Samori. Il revient sur son parcours exceptionnel. "Son ascension est d'autant plus extraordinaire, qu'au départ, il possède un nombre très limité d'atouts. Né dans le Konyan, où le pouvoir se transmet dans les mêmes familles selon des règles strictes, il ne peut se préstendre hériter d'aucune grande lignée mandingue. Se voulant dans un premier temps champion des animistes, sa conversion à l'islam le rend éminemment suspect. Optant pour l'islam, il n'en possède que les rites extérieurs. Dans une société où la science et la connaissance des livres saints paraissent indispensables, le nouveau converti fait figure d'ignorant.
Non, aucun passe-droit, aucun privilèg, aucune chance arbitraire ne peuvent expliquer l'ascencion de Samori. Il occupe dans l'histoire le rang exceptionnel de l'homme qui ne doit rien qu'à son génie.
Génie militaire s'il en fut - mais d'autres l'ont domestiqué et d'autres le posséderont encore- mais surtout connaissance des hommes, prescience de la manière de les assujettir. La lucidité de son jugement peut frapper par son cynisme, mais on est encore plus étonné de la mesure qu'il sut garder dans ses moindres décisions. Nul ne peut, de bonne foi, soutenir que Samori ait été un tyran aveugle.
"



 
Dans sa chanson, Alpha Blondy énumère les grandes figures noires mortes sur le champ de bataille de l'Histoire. Cette longue liste, disparate et troublante, ne pose pas problème dans l'esprit du rasta Blondy. Ainsi pour le chanteur, les Noirs gèrent une situation qu'ils n'ont pas créée. Ils sont tenus par des déterminations politiques, économiques, idéologiques; vulgaires pantins manipulés par les puissances impérialistes. Bien sûr cette présentation est simpliste et la situation eest beaucoup plus complexe. Alpha Blondy évoque en tout cas dans la chanson Sékou Touré, dirigeant guinéen lors de l'indépendance (en 1958) et bientôt dictateur, mais aussi Diallo Telli assassiné par les sbires du même Touré!



Alpha Blondy: "Bory Samory".

Bori, bori Samory
Toubabouhou bikôh oko obi faga
Bori, bori Samory
Nazarou bikôh oko obi minan
Bori, bori Samory
Bori, bori Samory
Bori, bori Samory
Bori, bori Samory
Ni môgo mi kabôh toubabouhou ya djanva Kalaman
Obafôh ko iman civilizé
Ni môgo mi kabôh toubabouhou ya djanva Kalaman
Obafôh ko iman développé


Travaux forcés
Travaux forcés
Travaux forcés
Travaux forcés n'magninan
Travaux forcés n'magninan
Travaux forcés kôh


Bori, bori Samory
Toubabouhou bikôh oko obi faga
Bori, bori Samory
Nazarou bikôh oko obi minan
Bori, bori Samory
Bori, bori Samory
Bori, bori Samory


Samory Touré oki faga
Almamy Touré oyi faga
Ba bemba oki faga
Lumumba oki faga
Tafawa Belewa oki faga
Victor Biaka Boda oki faga
Haïlé Sélassié oki faga
Marcus Garvey oki faga
Malcom X oki faga
Martin Luther King oki faga
Steve Biko oki faga
Diallo Telli oyi faga


Sékou Touré oki faga
Anouar El Sadate oki faga
Amilcar Cabral oki faga
Kwamé N'krumah oki faga


Anga mouné kê ayila
Anga mouné kê ayila
Anga mouné kê ayila
Anga mouné kê ayila (afôh n'gné bi)
Anga mouné kê ayila (afôh n'gné)
Ambê yé Allah dén'hou yé
Ambê yé Allah danfin ouyé

_________________

Fuis, fuis Samory
les Blancs arrivent
ils se sont jurés de te tuer
Fuis Samory
les Nazaréens (les Blancs) arrivent
ils se sont jurés de te capturer
Fuis Samory
Fuis, fuis Samory
Fuis, fuis Samory

Quand vous découvrez la supercherie des Blancs.
Ils disent que vous n'êtes pas civilisés.
Quand vous découvrez la supercherie des Blancs.
Ils disent que vous n'êtes pas développés.

Les travaux forcés, Les travaux forcés
Les travaux forcés, Les travaux forcés,
je n'ai pas oublié.
Les travaux forcés, Les travaux forcés.
je n'ai pas oublié.

Fuis, fuis Samory
les Blancs arrivent
ils se sont jurés de te tuer
Fuis Samory
les Nazaréens (les Blancs) arrivent
ils se sont jurés de te capturer

Fuis, fuis Samory
Fuis, fuis Samory
Samory Touré, ils t'ont tué
Almany Touré, ils t'ont eu!
Ba Bemba, ils t'ont tué,
Lumumba, ils t'ont eu!
Tafawa Balewa, ils t'ont tué,
Biaka Boda, ils t'ont eu!
Haïlé Sélassié, ils t'ont tué,
Marcus Garvey, ils t'ont eu!
Malcom X, ils t'ont tué,
Martin Luther King, ils t'ont eu!
Steve Biko, ils t'ont tué,
Diallo Telli, ils t'ont eu!
Sekou Touré, ils t'ont tué,
Anouar El Sadate, ils t'ont eu!
Amilcar Cabral, ils t'ont tué,
Kwamé NKrumah, ils t'ont eu!

Quel tort vous a-t-on fait?
Quel tort vous a-t-on fait?
Dites le moi aujourd'hui
Quel tort vous a-t-on fait?
Dites le moi.
Nous sommes des enfants de Dieu
Nous sommes tous des créatures de Dieu.



Le Bembeya Jazz National est le groupe le plus célèbre des grandes heures de la musique guinéenne, au cours des années 1960. Sékou Touré utilise alors la musique comme une véritable arme de propagande et entend développer la politique de "l'authenticité". Il faut rompre avec la période coloniale et ses vestiges. Le régime entend alors valoriser ceux qui luttèrent contre la colonisation à l'instar de Samory. Le Bembeya chante les louanges de l'almamy sur l'album "retour sur le passé" (1968), particulièrement populaire dans toute l'Afrique de l'ouest.

Bembeya Jazz National: "Regard sur le passé" (1969)

L’air que vous entendez est une composition en l’honneur de l’Empereur du Wassoulou l’Almamy Samory TOURE dont la lutte anticolonialiste a donnée naissance aux plus belles chansons et gestes d’Afrique. - Ecoutez, écoutez fils d’Afrique ;
- Ecoutez Femmes d’Afrique ;
- Ecoutez aussi jeunes d’Afrique l’espoir de demain ;
- Ecoutez tous une page de la glorieuse histoire africaine. Il est des hommes qui bien que physiquement absents continuent et continueront à vivre éternellement dans le cœur de leurs semblables. Sont de ceux-là l’Almamy Samory TOURE Empereur du Wassoulou, le Roi de Labé l’illustre Alpha Yaya DIALLO et Morifing Djan DIABATE symbole de l’amitié dont les restes glorieux viennent de rejoindre la terre natale qu’ils ont aimé et défendu leur vie durant.
Le colonialisme pour justifier sa domination les a dépeints sous les traits de Rois sanguinaires et sauvages mais, traversant la nuit des temps, leur histoire nous est parvenue dans toute sa gloire.

L’hymne de l’empire du Wassoulou proclame :
- Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes les plus valeureux ;
- Si tu ne peux dire la vérité en tout lieu et en tout temps, fais appel aux hommes les plus courageux ;
- Si tu ne peux être impartial, cède le trône aux hommes justes ;
- Si tu ne peux protéger le fer pour braver l’ennemi, donnes ton sabre de guerre aux femmes qui t’indiqueront le chemin de l’honneur ;
- Si tu ne peux exprimer courageusement tes pensées, donnes la parole aux griots.
Oh Faama ! Le peuple te fait confiance, il te fait confiance parce que tu incarnes ses vertus.

Après l’audition d’un tel hymne, il n’est besoin de vous présenter l’Almamy Samory TOURE. Pour le camper nous nous contenterons de quelques citations, citations de ceux-là même qui l’ont combattu et ont essayé de salir sa mémoire.
Dans l’histoire des colonies françaises féroces et tristes, ses ennemis les plus mortels sont unanimes à reconnaître que l’Almamy Samory ne violait jamais la parole donnée ; la trahison n’était pas dans ses habitudes. Le baratin se poursuit: il n’est pas exagéré de dire que l’Almamy Samory s’est montré supérieur à tous les chefs noirs qui furent nos adversaires sur le continent africain. Il est de ceux ayant fait preuve de qualités caractérisant un chef de peuple, un stratège et surtout un politique. Conducteur d’hommes il le fut en tout cas, possédant l’audace, l’esprit de suite et de prévision et par dessus tout une ténacité inaccessible au découragement. L’Almamy Samory naquit vers 1830 à Minianbalandougou dans la région administrative de Kérouané. Dès son jeune âge il fut un grand voyageur parcourant de nombreuses régions accompagnant son père qui était un grand négociant. Un jour, au cours d’une de ses absences Sory Bourama un des nombreux chefs qui ravageaient la région à l’époque attaqua son village et enleva sa mère ; Alerté, Samory alla trouver Sory Bourama et s’offrit comme esclave pour racheter la liberté de sa mère. Au terme de sept longues années de captivité au cours desquelles il apprit le métier des armes et compléta son instruction coranique, Samory recouvra sa liberté et celle de sa mère alors, il s’installa à Sanankoro non sans avoir prit la ferme résolution de mettre fin aux querelles intestines qui ravageaient son pays.
Déjà, il avait perçu le danger de la division et la grave menace que représentait pour l’avenir de son peuple le débarquement des troupes de conquêtes coloniales sur les côtes africaines.
Grâce à sa bravoure et à son intelligence, de 1870 à 1875 il réussit à rassembler sous son autorité de multiples chefs de la région qui s’épuisaient en luttes fratricides. En unifiant le pays, il y ramena la paix et la prospérité. Musulman pieux, il fit construire partout des mosquées et détruire les fétiches.
Il surveillait lui-même la scolarisation des enfants. Cent Soixante Deux cantons groupés en Dix provinces composaient l’Empire. Son armée, remarquablement organisée comprenait Dix corps et une garde d’élites campées à Bissandougou la capitale de l’Empire. Intelligent, intrépide cavalier, Kèmè Bourema son frère cadet dirigeait l’armée.
* C’est en 1881 que les troupes d’invasion coloniales se heurtèrent à celle de l’Almamy à la frontière de ces états près de Kita dans l’actuel République du MALI.
Le 02 Avril 1882 eut lieu la grande bataille de Woyowayankô, malgré l’intervention de l’artillerie coloniale, Kèmè Bourema et ses hommes mirent les troupes coloniales en déroute. Cette victoire étendit le prestige de l’Almamy tout le long des rives du Niger. Après Woyowayankô, les affrontements avec les troupes coloniales se succédèrent nombreux, violents et meurtriers. Sur tout les fronts, l’Almamy ne laissa aucun répit à l’envahisseur, il attaquait, traquait et frappait sans pitié. Face à la supériorité matériel de l’ennemi, il utilisa la technique de la guerre populaire, ses colonnes légères tenaillaient l’envahisseur, disparaissait brusquement pour surgir de nouveau en pleine nuit, à l’aube ou en plein jour semant la terreur dans les rangs de l’armée coloniale.
Ainsi par la guérilla, il fut successivement échec à Borgnis DESBORD, GALLIENI, ARCHINARD, HUMBERT, WON et BONIER. Seule la trahison devait venir à bout de son exemplaire ténacité.
Le 29 Septembre 1898 au petit matin, à la faveur d’une brune épaisse un détachement français que les Sofas de l’Almamy prirent pour des négociateurs pénétra par surprise dans son camp à Gélémou et le fit prisonnier.
- Celui qui pour libérer sa mère s’offrit comme esclave ;
- Celui qui pendant Seize ans lutta farouchement pour préserver la liberté et la dignité de son peuple ;
- Celui dont le seul nom semait la panique dans le camp de l’envahisseur fut déporté au GABON dans une île de l’Ogooué où il devait s’éteindre le 02 Juin 1900.
Morifing Djan DIABATE grand Capitaine et grand conseiller de l’Almamy a été son fidèle compagnon des jours de gloire et des jours sombres, volontairement il suivit l’Almamy dans son arbitraire exil gabonais. Après la disparition de celui qu’il s’était choisi comme ami, il ne retourna pas en GUINÉE bien qu’il en eut la possibilité, il creusa sa propre tombe à côté de celle de l’empereur pour qu’après sa mort on l’y enterra démontrant ainsi à la postérité la valeur d’un serment et ce que doit être une amitié.
Ils ne sont pas morts ces héros mais ils ne mourront pas.
Après eux, d’audacieux pionniers reprirent la lutte de libération nationale qui finalement triompha sous les traits d’Ahmed Sékou TOURE petit fils de ce même Almamy Samory le 29 Septembre 1958 la révolution triompha nous vengeant définitivement de cet autre 29 Septembre 1898 date de l’arrestation de l’empereur du Wassoulou l’Almamy Samory TOURE.


Sources:
- Anne Hugon:"Vers Tombouctou. L'Afrique des explorateurs II", Découvertes Gallimard, 1994.
- Un dossier du site Strabon sur "les résistances à la colonisation" en Afrique (1880-1939).
- Sur Hérodote.net: "29 septembre 1898: capture de Samory Touré".
- Yves Person:"Samori, la renaissance de l'Empire mandingue", Grandes figures africaines, ABC, Paris, 1976.

Liens:

- "Samori: homme d'Etat et résistant anticolonialiste" par Elikia M'Bokolo.

mercredi 8 juillet 2009

Sur la platine: juillet 2009.



1. "Packed Up And Took My Mind". Little Milton.
Le blues gorgé de soul de Little Milton séduisit à de maintes reprises les rappeurs, à l'instar de ce morceau souvent samplé. Le morceau se trouve (entre autres) sur une compilation intitulée "Stax: the soul of hip-hop". Des titres soul du label Stax récupérés par le rap (voir les nombreux articles qu'Etienne Augris consacre à l'histoire du rap sur Samarra).


2. Margie Joseph: "Punish me".
Deep soul interprétée par une chanteuse peu connue.

3. Lhasa: "Rising".
La Mexicaine prend son temps entre chaque album, mais l'attente des auditeurs est toujours récompensée par des titres impeccables. Seul petit regret sur son dernier disque, l'absence de titres en espagnol.


4. Pauline Croze: "T'es beau".
Voix et au phrasé singuliers pour cette chanteuse douée.

5. Sound Dimension: "Baby face".
Un instrumental imparable par les as de Sound Dimension, association de musiciens exceptionnels que l'on retrouve par ailleurs sur quelques uns des enregistrements jamaïcains de la période dorée des 1970's.

6. Ferro Gaita: "Bejo batafada".
Ce rythme incendiaire est celui du funana, un genre musical typique du Cap-Vert. Le groupe Ferro Gaita en est un des meilleurs représentants: la preuve avec ce morceau enlevé.


7. Lyn Collins: "Mr Big Stuff".
Cette grande chanteuse eut pour pygmalion James Brown. Son funk n'a rien à envier à celui de son mentor.

8. Lisa Richards: "Let's take a chance".
Le chant plein de gRichards fait merveille sur cette ballade soul. Le titre est issu d'une des quatre compilations "Deep soul treasures". Comme le nom l'indique, ces sélections pointues regorgent de merveilles sélectionnées par le regretté Dave Godin.

lundi 6 juillet 2009

175. Joni Mitchell: "Woodstock". (1969)

Les 15, 16 et 17 août 1969, plus de 500 000 individus participent au festival musical de Woodstock.


A l'origine du projet se trouvent quatre jeunes hommes. John Roberts et Joel Rosenman disposent d'un héritage important à faire fructifier. Ils publient une annonce dans le New York Times: "jeunes hommes avec un capital illimité cherchent des opportunités d'investissement intéressantes et des propositions d'affaires".
Artie Kornfeld, le vice-président de Capital Records, et Michael Lang, un hippie, qui vient d'organiser avec succès le Miami pop festival, tombent sur l'annonce et y voient aussitôt la manne nécessaire à l'organisation d'un autre grand festival musical.

Tous les quatre fondent alors Woodstock ventures avec pour objectif d'organiser un festival gigantesque. Ils avancent le chiffre ambitieux de 50 000 personnes (le festival en accueillera près de 10 fois plus!!!).

Des trombes d'eau s'abattent sur le festival transformant le terrain en un vaste bourbier.


Le choix du site de l'événement s'avère ardu.

Les organisateurs optent d'abord pour la ville de Woodstock, où habitent Dylan ainsi que beaucoup d'autres musiciens. Face au refus de la municipalité, ils se rabattent sur un terrain de 60 acres loué 50 000 dollars à un fermier nommé Max Yasgur, sur la commune de Bethel, soit à plus de 100 km de Woodstock. Le festival continuera pourtant à s'appeler "Woodstock", nom plus porteur que celui de Bethel.

Les publicités promettaient de passer du bon temps. "Trois jours de paix et de musique. Des centaines d'hectares à parcourir. Promène toi pendant trois jours sans voir un gratte-ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf-volant. Fais-toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire de l'air pur".


Manifestement, le message séduit puisque plus de 500 000 spectateurs assisteront à l'événement. Face à une telle affluence, les difficultés logistiques abondent:



- les axes d'accès aux lieux de concert sont saturés et des embouteillages monstres se forment, obligeant à utiliser des hélicoptères pour amener les artistes de leurs hôtels à la scène de spectacle.

- une très petit nombre de spectateurs acquitte les 18 dollars d'entrée du festival. Par la force des choses, il se transforme en un spectacle gratuit. Les piquets fermant l'accès au site sont arrachés rendant ainsi la billetterie inopérante.


- la pénurie de nourriture est manifeste. D'ailleurs lors de son concert, Janis Joplin lance aux spectateurs:"s'il vous reste quelque chose à manger, le gars à votre droite est votre frère, et la fille à votre gauche est votre sœur, alors partagez en toute fraternité".
Les organisateurs du rassemblement sont très vite totalement dépassés devant l'affluence record. Le système D s'impose.

- les conditions sanitaires s'avèrent catastrophiques. Les toilettes, prévues pour un auditoire dix fois moins important, manquent cruellement. Les ordures s'amoncellent dangereusement.

- Enfin, pour couronner le tout, des trombes d'eau transforment vite le terrain en un gigantesque bourbier.

Près d'un demi-million de jeunes Américains assistent au festival.
Or, assez miraculeusement, le festival se déroule de manière plutôt satisfaisante.
A l'issue des trois jours, on dénombrera:
- trois morts, dus à une overdose, une appendicite mal soignée et un accident de tracteur.
-deux naissances
- et, selon Tim Leary, "100 000 trips au LSD".

Mais on ne déplore aucune bataille sérieuse, ni viols ni meurtres sur ce site densément occupé. Au contraire les photographies et le film consacré à l'événement montrent une foule hirsute pacifique et heureuse, partageant des valeurs communes: le refus de la guerre du Vietnam, du capitalisme triomphant et de la société de consommation. Cette jeunesse adopte un mode de vie qui choque leurs aînés: avec une liberté sexuelle revendiquée, le port de vêtements bariolés et informes, la consommation de drogues afin d'ouvrir bien grand "les portes de la perception"...

Bain collectif.

Ce festival constitue bien la manifestation d'une culture (ou plutôt d'une contre-culture), l'expression d'une communauté d'esprit et d'un mode de vie. On appellera d'ailleurs "Woodstock nation", la génération que ce concert gigantesque représenta. Surtout, Woodstock consacre l'avènement d'une musique de masse, savant mélange de folk, folk-rock, rock, psychédélique ou pas. Pour Yves Delmas et Charles Gancel:"Woodstock demeure (...) l'expression d'une volonté de changement, aussi collective qu'utopiste. Derrière la pacifique rébellion contre le racisme et la guerre du Vietnam se dresse l'incroyable capacité de la musique à rassembler la jeunesse et à incarner ses valeurs avec optimisme."

Affiche de l'événement.

En effet, le festival reste avant tout un événement musical.
Tout au long des trois jours du festival, 32 artistes se succèdent sur scène.
Quelques grands absents peuvent être relevés (Stones trop violents au goût des organisateurs; Beatles qui ne tournent plus; Dylan, qui n'a que mépris pour les hippies, se remet lentement d'un accident de moto; Jim Morrisson, le leader des Doors, craint pour sa vie ...), le festival rassemble néanmoins du beau monde: le meilleur de la scène californienne, ainsi que certaines étoiles montantes de la scène musicale internationale.
Voici les groupes et chanteurs à l'affiche de ces trois jours:

- le vendredi 14 août se succèdent sur scène les folkeux Richie Havens, Tim Hardin, Arlo Guthrie, Joan Baez, le sitariste Ravi Shankar.


Richie Havens ouvre les hostilités
- le samedi 15 est consacré à la musique rock: folk- rock avec Country Joe McDonald ou John B. Sebastian, rock latino avec Santana, blues-rock avec Canned Heat, Creedence Clearwater Revival, Janis Joplin et son Kozmic blues band, acid-rock avec le Grateful Dead et le Jefferson Airplane, funk psychédélique avec Sly and the Family Stone, enfin le rock brutal et efficace des Who.

Grace Slick du Jefferson Airplane à Woodstock.

- le dimanche 16 voit se succéder sur scène Joe Cocker, Country Joe & The Fish, Ten Years After, The Band sans Dylan (en froid avecle mouvement hippie), le gutariste de blues albinos Johnny Winter, Blood Sweat And Tears, Crosby, Stills, Nash & Young.
- Enfin, le Paul Butterfield Blues Band et Jimi Hendrix clôturent ce festival le lundi 17.

Jimi Hendrix maltraite l'hymne américain et clôt en beauté le festival.

Sur ces différents concerts, voir cet article.

Pour terminer, laissons la parole à Max Yasgur, propriétaire opportuniste du terrain sur lequel se déroule les festival, qui lance à l'auditoire le dimanche 16 dans l'après-midi:"Je crois que vous avez prouvé au monde qu'un demi million de jeunes peuvent se rassembler pendant trois jours pour avoir du bon temps et de la musique. Que Dieu vous bénisse pour cela". 


 
En 1969, Joni Mitchell compose pour son compagnon d'alors, Graham Nash. Elle même n'est pas à Woodstock et suit le festival par écran interposé. Le morceau sera repris par Crosby Stills and Nash
"Woodstock" Joni Mitchell (1969).


I came upon a child of God
He was walking along the road
And I asked him, where are you going
And this he told me
I'm going on down to Yasgur's farm
I'm going to join in a rock 'n' roll band
I'm going to camp out on the land
I'm going to try an' get my soul free

Je suis tombé par hasard sur un enfant de Dieu
Il cheminait le long de la route
Et je lui ai demandé où il allait
Et il m'a répondu ceci
Je descends à Yasgur's farm
Je vais rejoindre un groupe de Rock
Je vais camper à la campagne
Je vais essayer de libérer mon âme

We are stardust
We are golden
And we've got to get ourselves
Back to the garden

Nous sommes de la poussière d'étoiles
Nous sommes de l'or
Et il nous faut retourner
Au jardin d'Eden

Then can I walk beside you?
I have come here to lose the smog
And I feel to be a cog in something turning
Well maybe it is just the time of year
Or maybe it's the time of man
I don't know who l am
But you know life is for learning

Alors puis-je marcher à tes côtés ?
Je suis venu ici pour fuir le brouillard
Et j'ai le sentiment d'être un maillon du changement en cours
Eh bien c'était peut-être dû à l'époque de l'année
Ou peut être à l'époque de l'humanité
Je ne sais pas qui je suis
Mais tu sais que la vie permet d'apprendre

We are stardust
We are golden
And we've got to get ourselves
Back to the garden

Nous sommes de la poussière d'étoiles
Nous sommes de l'or
Et il nous faut retourner
Au jardin d'Eden

By the time we got to Woodstock
We were half a million strong
And everywhere there was song and celebration
And I dreamed I saw the bombers
Riding shotgun in the sky
And they were turning into butterflies
Above our nation

Quand nous arrivâmes enfin à Woodstock
Notre groupe était fort d'un demi-million
Et partout on chantait et on commémorait
Et je rêvais que je voyais les bombardiers
Transportant des armes dans le ciel
Et ils se métamorphosaient en papillons
En survolant notre nation

We are stardust
Billion year old carbon
We are golden
Caught in the devil's bargain
And we've got to get ourselves
Back to the garden


Nous sommes de la poussière d'étoiles
Du carbone vieux d'un milliard d'années
Nous sommes de l'or
Empétrés dans des marchandages avec le Diable
Et il nous faut retourner
Au jardin (d'Eden)



Sources:
- Yves Delmas et Charles Gancel:"Protest song. La chanson protestataire dans l'Amérique des sixties", Textuel, 2005.
- Jacques Barsamian et François Jouffa:"L'encyclopédie du rock américain", Michel Lafon, 1996.
- Jean-Yves Reuzeau:"Janis Joplin", folio biographies, 2007.

Liens: * Sur Lire-Ecouter-Voir:
- Le festival de Monterey.
- "Le cauchemar d'Altamont, la fête est finie".
- Sur le Summer of love et le mouvement hippie.
- Les chansons anti-guerre du Vietnam.
- Dossier 1968.
- L'agitation sur les campus américain par E. Augris.

* Ailleurs:
- un bon site avec un article limpide sur l'événement.
- un site riche en photographies.
- Un site consacré à la prestation de Ten Years After à Woodstock.

jeudi 2 juillet 2009

174. Johnny Clegg: "Asimbonanga".

Comme nous l'avons vu dans l'article précédent ("Fire in Soweto"), toute tentative de remise en question de l'apartheid est combattue avec violence par le pouvoir blanc tout au long des années 1960 et 1970. Les leaders noirs comme Nelson Mandela dirigeant de l’ANC (African National Congress ) sont incarcérés,malmenés, voire tués (cf: l'article limpide de R. Tribouilloy sur Steve Biko). Les manifestations sont réprimées avec une brutalité meurtrière. Les manifestations étudiantes de 1976 se soldent ainsi par plus de 600 victimes. La répression est systématique et ne laisse que peu d'espoir.

Pourtant à partir des années 1980, le vent tourne et la démocratie tente de terrasser l'apartheid.
- Depuis 1975, les Etats voisins du Mozambique et de l'Angola se sont libérés du joug colonial portugais. Le Zimbabwe accède à l'indépendance en 1980. En exil, les leaders de l'ANC continuent d'ailleurs la lutte depuis ces pays.
- Avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, le gouvernement sud-africain ne passe plus comme le dernier rempart contre le communisme en Afrique australe. Ses soutiens occidentaux l'abandonnent.
- L'embargo économique décrété par l'ONU se durcit fortement et contribue à l'asphyxie du pays qui avait pu jusque là vivre en relative autarcie. La situation économique est aggravée aussi par de grandes grèves menées par la COSATU, le syndicat des travailleurs noirs.
- Surtout, le régime de l'apartheid renvoie une image déplorable du pays et marginalise les sportifs et artistes du pays qui n'ont d'autre alternative que l'exil ou une carrière réduite à l'échelle nationale.
- Enfin, la révolte intérieure se généralise au milieu de la décennie, animée notamment par l'United Democratic Front (sorte de vitrine légale de l'ANC toujours interdit) et sa branche armée, "la lance de la nation". Cette dernière opère depuis des bases arrières implantées dans les pays limitrophes de l'Afrique du sud (Zambie, Angola...).
Tous ces éléments expliquent aussi que la campagne internationale en faveur de la libération de Mandela prenne une ampleur sans précédent.

La minorité blanche au pouvoir doit lâcher du lest. Des négociations secrètes s'ouvrent donc à l'initiative de Nelson Mandela (auquel s'associe Oliver Tambo, président de l'ANC en exil en Zambie). L'arrivée au pouvoir de Frederik De Klerk en 1989 accélère le processus de sortie de l'apartheid. Membre du parti national, cet Afrikaner entend engager les réformes indispensables. Il est alors mis sous pression par la poussée électorale de l'extrême droite qui recueille 30% des voix. Par la déclaration de Harare, l'ANC se dit prêt à négocier sous condition: levée de l'état d'urgence, libération des prisonniers politiques, légalisation des organisations dissoutes, suspension de la peine de mort.

Après 26 ans d'incarcération, Mandela est libéré le 11 février 1990. L'année 1991 voit l'abrogation de la plupart des lois de l'apartheid. Pour autant, le plus dur reste à faire. La minorité blanche n'entend pas se dessaisir du pouvoir à n'importe quel prix. La transition démocratique s'opère dans un climat de grandes violences politiques. Les ultanationalistes blancs, favorables au maintien de l'apartheid, multiplient les attentats. L'Inkhata, une organisation zulu, milite pour une restauration monarchique dans le bantoustan du Kwazulu. Elle enclenche un cycle de violences avec les partisans de l'ANC. Ces derniers récusent toute forme de séparatisme et restent attachés à une vision unitaire de la future nation. Le pays est au bord de l'explosion, l'état d'urgence est réinstauré. Malgré tout, ces violences n'enrayent pas le processus de négociation en cours. Un compromis est trouvé et permet l'adoption d'une constitution intérimaire en décembre 1993. Ainsi, les membres du gouvernement sortant restent associés à la gestion des affaires pendant 2 ans à partir des élections. Il convient en effet de ménager les Blancs qui détiennent toujours le pouvoir économique.

Lors des premières élections libres et multiraciales d'avril 1994, l'ANC rassemble 63% des suffrages. Le 10 avril 1994, Nelson Mandela devient le premier président noir du pays. Il choisit aussitôt deux vice-présidents, Thabo Mbeki, issu de son parti, et Frederik De Klerk, issu de la minorité blanche et précédent chef du gouvernement. Enfin, il nomme un gouvernement d'union nationale.

Frederik De Klerk et Nelson Mandela.Tous deux reçoivent le prix Nobel de la paix en 1993.

Forcément, 50 ans d'un régime aussi terrifiant que celui de l'apartheid laisse des traces profondes dans les esprits, aussi la Commission vérité et réconciliation présidée par l'archevêque anglican Desmond Tutu en 1996-1997 a pour mission de faire la lumière sur les crimes de l'apartheid.

Conclusion:

Il est assez remarquable de constater qu'après un demi-siècle d'apartheid, régime au combien brutal et destructeur, l'Afrique du sud a réussi sa transition démocratique. Certes, tout n'est pas rose dans la "nation arc-en-ciel". Le pays est ravagé par une insécurité endémique, des inégalités sociales énormes subsistent, des problèmes sanitaires majeurs liés notamment au sida frappent la société sud-africaine. Pour autant, le pays bénéficie d'une certaine stabilité et n'a pas sombré dans le chaos comme tant d'observateurs le redoutaient. On doit incontestablement cet état de fait à la personnalité exceptionnelle de Mandela.

Fr. X. Fauvelle-Aymar (voir sources) rappelle à ce propos:
"Il faut dire (...) ce que ce tour de force doit à la personnalité et à la vision politique de Nelson Mandela, héros de la lutte des Noirs contre l'apartheid durant un quart de siècle, et qui sut acquérir dans les années 1990, auprès de ses concitoyens blancs, une popularité due en partie à sa rhétorique consensuelle et à son action volontariste dans un registre symbolique et identitaire auquel les Afrikaans étaient particulièrement sensibles [...].
De même, le "geste" politique consistant à ne pas briguer de second mandat en 1999 permit à la figure inentamée du père de la nation de conserver un prestige moral sans égal, à l'heure où les chefs d'Etat de certains pays africains avaient sans discontinuer présidé aux destinées de leur pays depuis les années 1970."

L'apartheid a des répercussions immenses sur la vie quotidienne. Les musiciens et chanteurs furent, comme les autres, victimes de cette politique ségrégationniste. Les musiques jouées par des Noirs furent boudées par les grands médias nationaux. La censure prive aussi de nombreux chanteurs d'une notoriété pourtant méritée. Des circuits commerciaux séparés tentèrent aussi de cloisonner "musiques blanches" et "musiques noires". Pour autant, quelques chanteurs se firent d'inlassables dénonciateurs du régime oppressif.



Johnny Clegg a su exprimer et accompagner les changements majeurs de son pays. Six mois après sa naissance près de Manchester, l'enfant est confié à ses grands parents maternels en Rodhésie. C'est le nouveau mari de sa mère qui lui transmet sa passion des cultures africaines.

Ci-dessus une chanson de Renaud en hommage à Johnny Clegg.

Il fréquente bientôt les ghettos noirs et se lie d'amitié avec un balayeur zoulou, Charlie Mzila, danseur et guitariste qui l'initie à la culture des "hostels", où le régime blanc parque les noirs. Avec son alter ego musical, Sipho Mchunu, il fonde le groupe Juluka (sueur en zoulou) composé de trois blancs et trois noirs, et devient le promoteur de la culture zouloue. De 1979 à 1985, leurs sept albums remportent un immense succès, malgré la censure qui les prive de diffusion en radio. Leur style mélange musique pop-rock et musique zouloue traditionnelle.

En 1986, Johnny Clegg fonde le groupe Savuka ("nous nous sommes levés") qui rencontre un succès international, notamment en France, grâce au titre "Asibonanga", un titre hommage à Nelson Mandela, véritable hymne de la génération anti-apartheid.
La chanson se voit immédiatement interdite d’antenne dans son pays. Peine perdue. Asimbonanga devient l’hymne de la résistance portée à l’échelle internationale. Condamné à la prison à vie en 1964, le nom de Nelson Mandela doit être oublié. "Nous ne l'avons pas vu" (traduction littérale d'Asimbonanga ), dit le refrain en zoulou. Dans l'un des couplets, écrits, eux, en anglais, Clegg évoque Steve Biko, Victoria Mxgengen, Neil Agget, des militants de la lutte anti-apartheid assassinés.


Patrick Labesse, dans un article du Monde (voir lien) écrit:
"Johnny Clegg reprend une phrase tirée d'une œuvre de John Donne
, poète et prédicateur anglais (1573-1631). "We are all islands" (nous sommes tous des îles), tous unis, car liés les uns aux autres par une même eau. Une mer que l'on va traverser un jour pour se retrouver, prédit le chanteur qui rêve d'un silence enfin brisé ("Broken silence is what I dream")."


L’album du « zoulou blanc » s’est vendu à plus deux millions d’exemplaires dans le monde entier. En mars 1990, un mois après la libération du "plus vieux prisonnier d'Afrique du sud", il se produit sept soirs de suite dans un Zénith comble.

"Asimbonanga" Johnny Clegg (1986).

Asimbonanga / Asimbonang'u Madela thina / Laph'ekhona / Laph'ehleli khana

Nous ne l'avons pas vu / Nous n'avons pas vu Mandela / à l'endroit où il est / à l'endroit où on le retient prisonnier
 
Oh the sea is cold and the sky is grey / Look accross the island into the bay / We are all islands till comes the day / We cross the burning water
 
Oh la mer est froide et le ciel est gris / Regardes de l'autre côté de l'île dans la baie / Nous sommes tous des îles jusqu'à ce qu'arrive le jour / Où nous traverserons la mer des flammes

A seagull wings across the sea / Broken silence is what i dream /Who has the words to close the distance / Between you and me ?

Un goéland s'envole de l'autre côté de la mer / Je rêve que se brise le silence / Qui a les mots pour faire tomber la distance / entre toi et moi ?
 
Steve Biko, Victoria Mxenge, Neil Aggett / Asimbonanga / Asimbonang' umfowethu thina (Asimbonang' umtathiwethu thina) / Laph'ekhona / Laph'wafela khona
 
Steve Biko, Victoria Mxenge Neil Aggett / Nous ne l’avons pas vu / Nous n’avons pas vu notre frère / Là où il est / Là où il est mort

Hey wena, hey wena / Hey wena nawe / Siyofika nini la'siyakhana

Hé toi, hé toi / Hé toi, et toi aussi / Quand arriverons-nous à notre vraie destination ?

Sources:
- L'Histoire n° 306
. Fr. X. Fauvelle-Aymar: "Et l'Afrique du sud inventa l'Apartheid", février 2006.
- E. Melmoux et D. Mitzinmacker: "Dictionnaire d'histoire contemporaine", Nathan, 2008.
- L'Afrique enchantée: "l'Afrique du sud: on dit quoi?".- Bernard Droz: "Histoire de la décolonisation", Point, Le Seuil.